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Saint Michel, un beau livre aux éditions du Cerf


Les éditeurs choisissent souvent la période des fêtes de Noël pour proposer leurs plus beaux livres comme idées de cadeaux. Les éditions du Cerf viennent de publier un somptueux ouvrage consacré à saint Michel. Sous la direction du professeur Giorgio Otranto, de l’université de Bari, et de Sandro Chierici, dont on se souvient qu’il avait publié aux éditions Zodiaque de La Pierre qui Vire les deux volumes Piémont-Ligurie roman et Lombardie romane, une équipe d’une vingtaine de chercheurs et d’universitaires, les meilleurs spécialistes européens du sujet, a été réunie pour rendre compte de la place occupée par l’archange dans l’art, la liturgie, les dévotions populaires ou princières, ainsi que l’origine de son culte, tant en Orient qu’en Occident. Dans leur note préliminaire, G. Otranto et S. Chierici présentent l’axe qui sous-tend leur approche et les communications du livre : « Nous pouvons affirmer que la foi et la dévotion à saint Michel, associées à d’autres facteurs, ont contribué à créer un langage culturel partagé par l’Europe, la Méditerranée byzantine et l’Orient, et à diffuser la culture de la solidarité et de l’accueil, conférant à l’Europe médiévale une unité qui a trouvé un élément essentiel dans la présence capillaire des sanctuaires. »


A lui seul, cet ouvrage constitue une synthèse monumentale, dont nous ne pouvons que souligner certains aspects, qui nous ont paru les plus significatifs de cette approche. Renzo Infante, sous le titre « Saint Michel dans la littérature juive et chrétienne ancienne » délimite la place qu’occupe saint Michel dans les textes canoniques de la Bible et les Apocryphes. Giorgio Otranto examine ensuite

« Le culte de Saint Michel en Orient » et observe la riche palette des fonctions attribuées à l’archange : « Messager de Dieu, protecteur d’Israël, de l’Église et de la maison, chef des milices célestes, serviteur de la liturgie, guérisseur, psychagogue et psychopompe, gardiens des hommes et leur intercesseur auprès de Dieu : ce sont les attributs les plus célèbres de Michel. » En conclusion de son étude, il ajoute : « Le culte de saint Michel fut chez les Byzantins un culte essentiellement populaire , répandu surtout dans les couches les plus modestes. »


André Vauchez dresse un tableau fouillé de « Saint Michel dans la vie religieuse et politique de l’Occident au Moyen-Age ». Remarquablement illustré, ce texte accueille une représentation du tableau de Boutet de Monvel montrant « La vision de Jeanne d’Arc à Domrémy » (Musée d’Orléans), une des rares œuvres non médiévales choisies pour l’iconographie du livre. Enfin, convoqué pour recevoir l’âme de Roland, dans la chanson de geste, « c’est cette réputation de défenseur de la foi qui vaudra à Michel de figurer parmi les saints patrons des chrétiens dans leurs premiers combats contre les musulmans. »




La contribution de Franco Cardini s’ouvre sur une définition dans ses « Notes sur un thème anthropologique et religieux » : « Quand on parle de ce qui est défini en italien comme un ‘ange’, on fait allusion, dans les trois religions abrahamiques, à un être spirituel au service de Dieu, qui le charge de missions spéciales. » L’auteur, qui aborde la question comparatiste de rapprochements éventuels de Michel avec des divinités païennes, estime « qu’aucune comparaison ne soit probante (…) dont la pertinence apparaîtrait seulement illusoire ».


Suit une magnifique étude de Gioia Bertelli, simplement dénommée « Saint Michel dans l’art ». Les illustrations à pleines-pages ou double-pages sont absolument somptueuses : elles dressent un panorama de la créativité des artistes inspirés généreusement par la figure de saint Michel. Elles sont essentiellement picturales, limitées à l’art médiéval, à l’exception d’une création contemporaine de Franco Dellerba.


Le cœur de l’ouvrage, comme le lecteur s’y attend, embrasse les trois sanctuaires les plus prestigieux dédiés à l’Archange : deux en Italie (Monte Gargano, Sacra di S. Michele, honoré d’une visite de Jean-Paul II) et, en France, de notre Mont-Saint-Michel au péril de la Mer. Ces contributions les plus marquantes de l’ouvrage ont été confiées respectivement à G. Otranto, Pierre Bouet, et G. Sergi. A elles seules, elles suffisent à déclencher le désir d’achat de ce livre !


L’Irlande et l’Angleterre suivent avec la célèbre croix de Monasterboice et le Mont-Saint-Michel de Cornouailles, et précèdent l’étude attendue de Catherine Vincent, « Le Culte de Saint Michel en France ». D’entrée de réflexion, l’auteur prévient son lecteur : « Le territoire actuel de la France a donné au culte de saint Michel l’un de ses joyaux, le Mont-au-Péril-de-la-Mer.(…) Mais cet arbre majestueux ne saurait cacher la forêt d’autres sanctuaires au rayonnement plus modeste qui traduisent le profond enracinement de la figure de l’archange dans les dévotions. » L’auteur mentionne les abbayes de Saint-Mihiel (Meuse), de Cuxa (Pyrénées), Le Puy-en-Velay : fresque de la cathédrale et chapelle Saint-Michel-d’Aiguilhe sur son fantastique piton rocheux... Elle n’a garde d’oublier le lumineux saint Michel de la Pesée des âmes au portail central de la cathédrale de Bourges, probablement la plus belle représentation de l’Archange dans la statuaire française.





Klaus Herbers aborde « Saint Michel dans le monde germanique ». Son étude s’ouvre sur l’incontournable gravure de Dürer qui met en scène « La Chute des anges rebelles » avec son puissant St Michel qui transperce de sa lance la gorge de Satan. L’auteur se concentre sur l’évocation des abbayes d’Hildesheim et de Bamberg. Et la lutte de l’Archange contre Satan, thème iconographique inépuisable jusqu’à la période moderne incluse (église Saint Michel des Jésuites à Münich). On peut regretter que n’ait pas été étudiée l’église St Michel de Fulda avec sa rotonde carolingienne, bâtie sur le plan du Saint Sépulcre de Jérusalem, et témoignage éclatant de l’art monastique à l’époque impériale, ayant précédé l’âge roman.


Gabor Klaniczay offre avec « Saint Michel en Hongrie et en Europe centrale au Moyen Age » une étude originale pour une majorité de lecteurs. En ouverture, la Couronne de saint Étienne, et à côté la représentation émaillée de saint Michel en buste. Cet ouvrage attire ensuite l’attention sur deux pépites singulières : « L’église en bois de Saint Michel à Biranowa » en Pologne et « La grotte de saint Michel à Olevano sul Tusciano » en Italie.


Nous ne pouvons passer sous silence la maladresse malheureuse, qui aurait pu être corrigée avant l’impression du livre (août 2022), du Père Dominicain Gerardo Cioffari, qui inclut Kiev et l’Ukraine, dans son étude par ailleurs intéressante et bien documentée, sous l’appellation englobante « Le culte de Saint Michel en terres russes ». L’ambiguïté est heureusement en grande partie levée dans le corps du texte, lorsque l’auteur rappelle que « le christianisme fut introduit dans la Rus’ de Kiev par l’Occident et par l’Orient. Néanmoins avec la conversion du grand prince de Kiev, Vladimir, seule la tradition byzantine perdura. » et plus loin : « A Kiev, le temple « aux dômes d’or » érigé en 1108 par Sviatopolk II, resplendit comme jadis. Il est même devenu le symbole de cette partie de l’église ukrainienne qui a été récemment (2018-2019) reconnue comme autocéphale par le patriarche de Constantinople (provoquant un schisme encore en cours entre le patriarcat de Moscou et celui de Constantinople). Toujours en Ukraine, État désormais indépendant, des centaines d’églises en son honneur renaissent dans les grandes villes (Lviv, Odessa, Perejaslavl’) et dans les plus petites. »


Les dernières contributions de l’ouvrage sont consacrées à la Péninsule ibérique et aux témoignages lombards dans le nord et le sud de l’Italie. Manuel Castineiras Gonzalez, professeur d’histoire médiévale (Barcelone) et ancien conservateur en chef du Musée d’art catalan de Barcelone, s’est vu confier la présentation de « Saint Michel dans la péninsule ibérique ». Il souligne la spécificité du culte de saint Michel en Espagne : « A l’origine en effet, pendant la période hispano-wisigothique, la dévotion à l’archange semble avoir bénéficié du succès du Livre de l’Apocalypse. » Autre trait caractéristique de l’attachement à saint Michel « durant le processus de la Reconquista la lutte des armées chrétiennes contre l’islam a été perçue comme un reflet de la bataille céleste de l’archange et de ses armées contre les forces du mal et les anges rebelles. » Une double page rutilante montre le combat de Michel affrontant le dragon, enluminure d’un manuscrit de Beatus, conservé à la Biblioteca nacional de Madrid. L’auteur analyse le lien entre l’Archange et les souverains de Pampelune, qui ont fait de la Navarre un territoire d’élection, où le culte de saint Michel a été particulièrement florissant, notamment sur le mont Aralar, avec le monastère de San Miguel in excelsis. « Le sanctuaire est entouré d’une aura légendaire et folklorique, qui fait remonter sa fondation aux dernières années du règne wisigothique. (…) Néanmoins, la première construction de San Miguel in excelsis ne semble pas antérieure au XIe siècle, sous le règne de Sanche III le Grand (1004-1035). » Le culte de l’archange se répand également en Catalogne, dont l’auteur développe l’expansion et les créations artistiques. Une mention particulière est accordée à la sculpture qui occupe les portails et les façades le long des chemins de saint Jacques, avec l’extraordinaire relief du portail nord de San Miguel de Estella, fameux pour les scènes du Combat contre le dragon et de la Pesée des âmes. Pour une description complète de cet ensemble, nous prenons la liberté de renvoyer à notre article : « Sur le chemin de Saint Jacques : le frontispice sculpté de San Miguel de Estella », Art Sacré 16, 2002, p. 143-169.





Claudio Azzara, puis Francesco Panarelli nous offrent les manifestations des créations réalisées sous l’impulsion des Lombards dans le nord et le sud de la péninsule italienne : le premier avec les mosaïques de Ravenne, l’approche de Pavie et sa basilique Saint-Michel, l’une des plus extraordinaires constructions du roman lombard ; le second avec les édifices sous influence byzantine, puis lombarde ,avec plus particulièrement l’abbaye de Siponto et les fresques de l’abside de Sant’Angelo in Formis, ainsi que les grottes de saint Michel à Sant’Angelo a Fasanella et Santa Maria di Pulsano.


On comprendra que ce « Saint Michel » doit recevoir une place choisie auprès de la Crèche , dans l’attente précieuse que d’autres anges entonnent le Gloria au cœur vibrant de la nuit de Noël. Il pourra même offrir l’éclat de sa présence avec les deux figurations de sa jaquette, qui porte les images de l’Archange dans le Trésor de Saint-Marc de Venise, trait d’union entre l’Occident et l’Orient enfin réconciliés par l’art.


Michel Maupoix




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